Philippe Collin & Sébastien Goethals
11 octobre 2009. Marcel Grob, 83 ans, se retrouve confronté à un juge d’instruction qui l’interroge sur son passé. Et plus particulièrement sur le 28 juin 1944, jour où ce jeune français de 17 ans fut intégré à la Waffen SS, comme 10 000 de ses camarades alsaciens.
Mais Marcel était-il pris au piège des nazis, ou engagé volontaire ? Était-ce un « Malgré-nous », ou un criminel de guerre ? Le magistrat traque la vérité de ce passé trouble.
Marcel Grob va devoir se replonger dans ses douloureux souvenirs, ceux d’un adolescent français forcé d’aller combattre en Italie au sein de la sinistre division Reichsführer.Pour prouver son innocence, Marcel commence alors le récit d’un long voyage dans la nuit.
Fallait-il vous présenter mes vœux et commencer l’année en chroniquant cet album ? Pas sûr qu’il soit le plus heureux de tous ceux que j’aurais l’occasion de lire en 2019.
Philippe Collin restera pour moi l’animateur des irrévérencieuses Paniques au Mangin Palace avec Xavier Mauduit sur France Inter, l’émission provocatrice, loufoque et passionnante me faisait sourire derrière mon volant. C’est bien évidemment que France Inter fit la promotion du Voyage de Marcel Grob, l’album que son animateur avait scénarisé avec Sébastien Goethals au dessin. Le loufoque et l’irrévérencieux était resté sur les ondes. Sur le papier, le ton est plus grave.
Marcel Grob est convoqué par un étrange juge qui s’intéresse au passé du vieil homme bien installé dans la société Belfortaine, qui verrait sûrement d’un mauvais œil ce qui lui est reproché. Grob, avec plusieurs de ses amis du village a été enrôlé de force dans les Waffen SS alors en mal de jeunesse. L’Alsace et la Moselle jouissent de ce statut particulier qui les ont fait passer d’un coté à l’autre de la frontière selon les guerres. Les Alsaciens nés entre 1870 et 1918 sont de nationalité allemande, ceux nés avant ou après cette période sont français, du moins jusqu’en 1942. S’enrôler dans la Waffen SS est normalement un acte volontaire, ceux qui y combattent sont des nazis convaincus, prêts à tout, et surtout au pire, pour leur Führer. Et il y a les « Malgré-nous » ; 10 000 jeunes Alsaciens et Mosellans versés de force dans les bataillons de ces troupes d’élite. Certains participeront au massacre d’Oradour sur Glane. D’autres à celui de Marzabotto. Comment trier parmi ces SS les engagés volontaires de ceux qui y ont été projetés de force ? La frontière est ténue, perméable parfois selon les revers de conscience. Pour l’Histoire d’un pays, comment juger après guerre ? Fallait-il adopter une ligne dure, sans faire de distinction entre volontaires ou non ? Ou faire preuve de clémence en considérant un contexte fort particulier ? Pour l’unité d’une nation qui se relevait tout juste de ses cendres l’amnistie fut parfois de mise.

Le Voyage de Marcel Grob – Sébastien Goethals – Planche 42
Marcel Grob, qui n’est autre que le grand oncle de Philippe Collin, doit se plonger dans ces souvenirs qui torturent encore ses nuits. Il revit pour le juge les massacres auxquels il a participé, il se hasarde dans des tentatives d’explications qui ne peuvent satisfaire celui qui n’a connu que la paix. Comment survit-on à de telles épreuves ? Comment peut-on encore dormir ? Je ne peux seulement l’imaginer moi qui n’est jamais connu les armes ou la peur. Comment juger ? Finalement n’est-ce pas la seule conscience de Grob qui se juge ?
Philippe Collin nous entraîne dans un récit très détaillé de cet épisode méconnu de l’Histoire de France. Méconnu peut-être parce que considéré honteux. Un voile pudique a été jeté. Amnistie. Oubli ? Entre les années 2000 où le vieil homme s’insurge qu’on puisse le considérer comme un criminel alors qu’il est selon lui victime, où le vieil homme s’inquiète des conséquences que pourrait avoir ce sombre passé sur son avenir dans la société Belfortaine ; et les années 1940 où le jeune homme timide part à travers champs s’inscrire auprès des Allemands parce qu’il y a été convoqué, où il découvre l’horreur d’une guerre dans laquelle il serait dans le mauvais camp ; je comprends que Grob cache ses jours de guerre, qu’il ne peut pas les assumer parce qu’il s’en sent à la fois responsable (c’était bien lui qui tenait le fusil), mais également dépossédé (aurait-il pu faire différemment ?)

Le Voyage de Marcel Grob – Sébastien Goethals – Planche 120
La lecture me met parfois mal à l’aise, me demandant comment cela pouvait seulement être possible. Et c’est sûrement mieux ainsi, cet album ne peut laisser indifférent. Il ne doit pas laisser indifférent.
Le dessin en noir et blanc de Sébastien Goethals est très expressif et réaliste. Par ses yeux il dépeint un Marcel Grob qui subit, qui ne comprend pas tout ce qui lui arrive lorsqu’il est jeune et un autre qui ploie sous la culpabilité dans le bureau d’un juge qui n’est peut-être autre que lui-même. Le dessin des années 2000 est d’ailleurs légèrement différent de celui des années 1940, plus froid peut-être, malgré un peu de sépia. Celui de la guerre est plus touchant.
Philippe Collin m’a dévoilé une autre facette que celle de trublion qui annonçait dans son émission hebdomadaire archi loufoque et totale foutraque qu’il voulait uniquement tenter de chahuter nos zygomatiques. Tout un programme. Oubliez vos zygomatiques en ouvrant cet album, la vache rira plus tard…
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Petite coquille => Les Alsaciens nés entre 1870 et 1978 <= 1878.
Ouppppssss, effectivement, c’était en fait entre 1870 et 1918… Merci de la correction !