Par Fabien Toulmé
Baudouin est un trentenaire solitaire, enfermé dans un quotidien monotone. Son frère, Luc, est tout ce qu’il n’a pas su être : un épicurien, un esprit libre, voyageur et séducteur.
Un jour, Baudouin apprend brutalement qu’il n’a plus que quelques mois à vivre. Luc le convainc alors de tout plaquer et de partir avec lui en Afrique.
Ensemble, ils vont profiter du temps qui lui reste, de cette nouvelle vie qui débute, celle dont Baudouin avait toujours rêver sans oser franchir le pas…Une histoire touchante, pleine de sensibilité et d’humour, une réflexion sur la vie et le sens qu’on lui donne, bref, un album qui fait du bien par l’auteur de Ce n’est pas toi que j’attendais.
Toute ressemblance avec une personne que vous pourriez connaître ne serait peut-être pas complètement fortuite… Baudouin a sûrement un peu de nous tous. Ce trentenaire, célibataire, propriétaire d’un appartement aux murs couverts d’affiches de ses groupes de rock préférés, est bien seul. Il s’effondre chaque soir dans son canapé, son chat sur les genoux. Un chat qui ne connait pas son bonheur, il ne travaille pas lui et ne fait que se prélasser.
Baudouin, lui, il lui reste 6128 jours avant sa retraite. A trente ans il y pense déjà. Il ne pense qu’à ça. Un décompteur est même planqué dans un tiroir de son bureau, une boîte plombée qui égrène les jours qui le séparent de la quille. Alors il n’aura plus à subir son chef qui ne mérite rien mieux que des baffes, alors il n’aura plus de raison de se lever le matin, il n’aura plus à faire semblant d’aimer son travail. Peut-être pourra-t-il ressortir une guitare et se rêver dans un de ces groupes de rock qu’il admire sans se croire capable d’un jour en faire partie.
Bref, Baudouin, c’est un peu moi. Un peureux qui n’ose pas tout plaquer ; parce qu’après tout ce n’est peut-être pas mieux ailleurs. Et puis finalement, c’est pas si mal ce boulot, les collègues ne sont pas tous des connards, ça paye bien, pi… c’est quand même papa qui l’a pistonné auprès du patron, alors que dirait-il si son fiston claquait la porte ? En plus, dans la famille, il y a déjà Luc, le grand frère, celui qui n’a peur de rien, médecin du monde, petit frère des pauvres ou docteur Love à ses heures perdues, collectionnant les primes des compagnies aériennes et les conquêtes féminines, toujours enthousiaste et souriant, le bon ami blagueur auprès duquel on se sent merdique. Celui qui vous rappelle que tu as raté ta vie. Deux aventuriers dans la même famille, ça risquait de faire beaucoup. Juriste, c’est bien après tout. CDI. Sécurité de l’emploi. A la maison tous les soirs. Repas chez papa et maman un week-end sur deux. Le bonheur. Pas vraiment le bonheur dont rêvait Baudouin mais les choix qu’il n’a pas fait en ont décidé autrement.
« On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on en n’a qu’une », j’avais vu cela quelque part. C’est de Confucius mais Raphaëlle Giordano avait déjà piqué le titre dans un livre « feel good » (ici). Une tumeur, ça pousse à oser, surtout quand le médecin, sommité, ne donne plus que quelques mois à vivre et propose soit d’en profiter tant que possible, soit de tenter de gagner quelques jours de vie, sans garantie de succès. Le grand frère le pousse dans la voie la moins rationnelle, celle que Baudouin n’aurait jamais suivi seul. Il s’envole pour Cotonou, Bénin. Luc l’accompagne ; ou plutôt Baudouin accompagne Luc. La liste de ses envies est griffonnée à la hâte.
Fabien Toulmé s’attache, par petites touches, à nous faire découvrir ce qui a mené Baudouin dans le bureau où il s’est enfermé. Les frustrations et brimades de l’enfance, les échecs, le frère à qui les parents passent tout, les pressions du père qui ne sait pas dire à son fil qu’il l’aime… Ces pages de flash-back sont couleurs crème quand celles de son changement de vie sont blanches. Le dessin est minimaliste. Pourtant il est particulièrement évocateur. L’attaché-case et les arches de la Défense tranchent avec la chambre décorée des posters des Rolling Stones et de Led Zeppelin. Baudouin a deux vies, mais il y en a une qu’il ne fait que rêver.
Fabien Toulmé aborde avec finesse le rapport à la maladie et la mort. Il choisit le parti de la vie. Les Deux Vies de Baudouin est d’abord un hymne à la vie, à ce qu’elle a de beau et de coloré. Les rythmes africains aident beaucoup. Pour avoir partagé quelques repas d’expat, le témoignage que laisse cet album est plutôt fidèle.
La flamboyance de Luc et la timidité de Baudouin nous font presque douter de leurs liens familiaux, leur complicité dissipe tous malentendus. L’auteur évoque les rapports entre frères et parents, ceux-là qui ne sont pas toujours faciles. Il dessine les non-dits qui empêchent toute compréhension, les espoirs des uns vis à vis des autres. Il sait parler du trouble de celui qui à l’impression de passer à coté de sa vie parce qu’il s’est laissé embarquer dans une autre, loin de ses rêves d’ado, une vie plus conventionnelle et acceptable.
Si la conversion de Baudouin à sa nouvelle vie semble presque trop facile, trop rapide et la chute quelque peu improbable, l’ensemble est très touchant et agréable à lire. Cette jolie fable m’a transportée, je me suis attaché aux deux personnages et à tous ceux qui les entourent.
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Cet avis n’est que le mien, sans prétention, si vous avez lu « Les deux vies de Baudouin », n’hésitez pas à laisser quelques lignes de commentaires pour éclairer d’autres lecteurs…
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Très agréable d’avoir des recommandations de lecture depuis l’autre côté de l’Atlantique. J’ai tout réservé à la bibliothèque, Groenland vertigo, petit traité de l’écologie, la suite de la série avec Marine Le Pen…Baudouin, on l’avait déjà lu avant de le voir sur ton site. Nous n’avons pas été déçus, un grand merci!